Syndication de programmes, une évolution pour la télévision locale ? REC, le modèle de TLSP

Les télévisions locales ont-elles aujourd’hui intérêt à avoir recours à la syndication de programmes sponsorisée, autrement dit le « bartering » ? Dix chaînes ont tenté l’expérience en adhérant dès janvier 2007 à Syn TV, la première entreprise française à se positionner sur ce terrain. Seize chaînes diffusent simultanément Mash et Practice deux séries américaines « cultes » dès le 28 mai (et jusqu’à mi-juillet). Ce modèle économique est-il désormais incontournable ?

Un même programme diffusé au même moment sur plusieurs chaînes locales en échange d’espace publicitaire : c’est le principe de la syndication qui se met en place depuis peu dans les télévisions locales. Une idée qui fait son chemin, mais bouscule les idées reçues et surtout les habitudes du secteur. Avec en toile de fond des questions sur les orientations éditoriales que cela implique. La méthode est-elle vraiment compatible avec une mission de service public ? Est ce vraiment le meilleur moyen pour doper l’audience des chaînes locales ?

Une première expérience en 2007

Du 29 janvier au 22 avril 2007, la première saison de la série « 24 heures chrono » a ainsi été vue simultanément par les téléspectateurs de Marseille (LCM), Lyon (TLM), Bordeaux (TV7), Tours (TV Tours), Grenoble (Télé Grenoble), Le Mans (Canal 8), Clermont Ferrant (Clermont Première), Nîmes (Télé Miroir), Toulouse (TLT) et enfin Troyes (Canal 32). Une première expérience menée par Syn TV, une société indépendante, fondée par Philippe Micoleau et Gilles Camouilly, deux professionnels des médias qui parient sur l’avenir de ce modèle économique.

Un modèle américain
Le principe est le suivant : en échange d’un accès gratuit au programme 80 % de l’espace publicitaire est réservé aux annonceurs extra locaux avec partage des recettes entre le syndicateur et les chaînes. « Nous sommes partis du constat suivant, explique Gilles Camouilly, ce modèle qui a fait ses preuves aux Etats-Unis a été aussi développé avec succès dans différents pays européens (Espagne, Italie, Allemagne) pourquoi ne pas l’importer en France ? D’autant plus que la syndication existe déjà chez nous dans d’autres médias (radio et PQR). » Misant sur la multiplication des chaînes et le besoin de remplir des grilles de programmes avec des budgets très serrés, Syn TV se positionne sur un marché encore novateur pour parler en termes « marketing ».

Des chaînes en observation

La prudence est de mise du côté des chaînes dont le cœur balance entre un compromis d’ordre économique et une cohérence éditoriale. Cependant, l’accueil semble plutôt favorable. « Nous sommes satisfaits, note Pascal Brulon, directeur de Canal 8,même si, effectivement, l’accroissement d’audience annoncé n’a pas été prouvé. En revanche, il est certain que nous avons gagné une nouvelle image de marque, auprès d’un public plus jeune d’abord et auprès des annonceurs ensuite, ce qui est très positif. » Gilles Camouilly regrette pour sa part une perte de temps due selon lui « à l’indécision et l’inertie des antennes ». Le fait est qu’il lui aura fallu déployer beaucoup d’énergie pour fédérer des chaînes venues d’horizons différents (TLSP, Locales TV. Antennes Locales…) et les convaincre qu’elles n’étaient pas en concurrence ! «  En France, remarque Francis Raux à Télé Grenoble, nous sommes vraiment dans une phase pionnière en la matière. Le premier essai avec 24 H chrono semble plutôt réussi même si cela reste mi-figue, mi-raisin sur le plan financier pour Syn TV. C’est un début et nous avons tout de même fabriqué quelques recettes, nous ne devons pas nous plaindre du résultat ! »

Des séries américaines sinon rien ?

Les avis sont très partagés sur le choix des programmes. Son offre, Syn TV la veut pourtant transparente. « Nous ciblons d’abord les jeunes urbains actifs, précise Gilles Camouilly. C’est pourquoi nous privilégions les télévisions locales adossées à des villes. » La programmation de séries comme « Practice » ou « Mash » entre dans cette logique, de même la diffusion horaire (imposée aux chaînes, pour Practice par exemple, deux épisodes sont diffusés à la suite le lundi à 21h avec une rediffusion le vendredi à 22h30). Le marché publicitaire doit savoir où il met les pieds ! « Même si nous avons été déçus sur le plan des chiffres, reconnaît Gilles Camouilly, il y a de très bons indicateurs. Des annonceurs comme les Pages Jaunes ou SFR sont aussi parties prenantes pour la deuxième opération, c’est très encourageant. » Des programmes « couleur locale »

Attentives aux attentes de leurs téléspectateurs, les chaînes revendiquent aussi la possibilité de diffuser des programmes plus « couleur locale » ! « Nous aimerions aussi disposer de programmes français qui soient plus proches de l’esprit « télé locale », note Pascal Brulon. Nous verrions bien des séries comme Arsène Lupin par exemple… Mais il faut laisser le temps à Syn TV de s’adapter à la philosophie des différentes télévisions, ils ont le mérite d’avoir été les premiers à faire une offre, ils ne peuvent pas trouver la formule idéale du premier coup ! »

Bousculer les habitudes…

Si dans l’ensemble pour les dix chaînes « pilotes », l’expérience a été plutôt positive, surtout en termes d’image, certains ont vu leurs téléspectateurs un peu désorientés et cela d’autant plus que la chaîne est déjà bien installée. « Il est certain, remarque Pierre-Paul Castelli à Télé Miroir que cela a surpris les gens. Nous avons beaucoup communiqué là-dessus avec des bandes-annonces et de l’affichage. Commencer avec une série comme 24 Heures chrono dont il ne faut pas rater un épisode pour bien la suivre, était peut-être un peu risqué. Nous sommes convaincus tout de même de l’intérêt de la syndication. Cela permet de varier les programmes et de proposer du divertissement de qualité. On ne peut pas faire quinze heures d’infos locales par jour ! Mais on ne va pas non plus se transformer en Série-Club ! »

Diversifier les programmes

À l’occasion de cette première « vague » de programmes diffusés en syndication, une étude a été commandée à Médiamétrie (elle a été réalisée du 5 au 17 mars 2007 auprès de 1750 individus répartis sur les bassins de diffusion des chaînes « souscriptrices ») pour mesurer précisément l’impact d’un tel programme sur l’audience des chaînes locales. Outre le fait que la série a manifestement attiré un public plus jeune (CSP + selon le jargon publicitaire), cette étude a aussi fait apparaître « le souhait d’une diversification de la programmation des chaînes locales. » Plus des 2/3 des personnes connaissant les chaînes locales souhaitent voir plus souvent des séries. Et 80% aimeraient y voir des films, français, en particulier.

Briser le côté déroutant de la rediffusion
« Pour une chaîne comme TV Tours qui est une télévision récente remarque sa directrice Maguelone Hedon, il est difficile de distinguer l’impact réel de la diffusion de la série. Mais il est certain que c’est un programme de complément intéressant qui crée une image dynamique et brise le côté déroutant de la rediffusion. Nous ne pouvons en effet pas produire plus d’une heure trente de programme « frais » par jour. » Pour des chaînes plus établies (TV Rennes 35 par exemple), avec des grilles nettement plus importantes et diversifiées, la donne est certainement différente. Puisqu’il s’agirait alors de changer la grille pour introduire ces programmes… « Une diffusion dans la semaine plus une rediffusion, cela me paraît raisonnable comme contrat, note la directrice de TV Tours. Mais je reconnais qu’il y a certainement une dose à ne pas dépasser. Je comprends aussi que certains craignent de reproduire le phénomène qui s’est produit avec la syndication de programmes dans les radios locales. Ils ne veulent pas être « bouffés » par les annonceurs, c’est légitime. Chaque chaîne doit fixer ses limites, je pense. »

La syndication : un vrai partenariat ?
Une piste de réflexions et de discussions d’ores et déjà entamées entre Syn TV et les chaînes qui s’engagent avec cette société dans la syndication de programmes. «  Je suis persuadé, souligne Gilles Camouilly, qu’une action coordonnée avec toutes les chaînes est la seule chance de faire évoluer le marché publicitaire. C’est ce que nous souhaitons faire : créer un vrai partenariat avec les chaînes. Avec elles, nous n’avons pas intérêt à « engloutir » leurs grilles et gommer ce qui fait vraiment leur spécificité, à savoir leur caractère de proximité !.

TLSP n’a pas attendu l’émergence de la syndication de programmes sous forme de « bartering » (échange entre programmes et espaces publicitaires) pour initier son propre modèle coopératif autour des programmes des chaînes locales membres de son réseau. REC (Réactions en Chaînes) créé en 2004 fonctionne comme une unité de programmes constituée en priorité d’achats de programmes produits ou coproduits par les télévisions locales de TLSP. Pour avoir accès à ce catalogue (environ 6 heures de programmes renouvelés tous les mois) les chaînes doivent s’acquitter d’une adhésion calculée en fonction de leur taille et leur audience. L’avantage pour les chaînes : disposer de programmes variés qui correspondent à une ligne éditoriale commune aux télévisions de service public. Autrement dit, une façon de concevoir une télévision plutôt citoyenne et orientée vers des recherches d’identités authentiques, quelles qu’elles soient… « Cela fait des années, remarque Dominique Renault à Images Plus, que nous revendiquons les uns et les autres, une place dans le paysage audiovisuel français, Une démarche collective est positive puisque désormais, le CNC (Centre National Cinématographique) en reconnaissant REC reconnaît le secteur comme un vrai diffuseur. De plus, pour des petites chaînes comme les nôtres, le rapport qualité prix est imbattable ! » Ce qui n’exclut pas la recherche de qualité et les programmes de fictions ou de divertissement avec notamment la captation de spectacles vivants. D’ailleurs, REC ne s’adresse pas exclusivement aux membres de TLSP. Tous ceux qui le souhaitent peuvent y adhérer !

Unité de programmes en Régions
Les chaînes locales de l’Ouest ont trouvé aussi un autre moyen pour développer des programmes de qualité : la création d’un GIE (Groupe d’intérêt économique) dès avril 2003 qui a donné une impulsion créatrice non négligeable. Ainsi, les 8 chaînes du GIE disposent d’un magazine de la création audiovisuelle intitulé « Sous la douche », véritable « laboratoire » de tout ce qui se fait aujourd’hui en matière d’images. Des projets de magazines (environnement, emploi) sont à l’étude. Dès septembre, une case mensuelle dédiée aux premiers films documentaires sera également ouverte. Soutenir la création en région, donner à voir des spectacles originaux fait aussi partie du cahier des charges du GIE avec peut-être bientôt des captations réalisées aux Transmusicales de Rennes ou à la Folle journée de Nantes… Un GIE a d’ailleurs été créé aussi en Lorraine en début d’année 2007.

Rappelons enfin que les chaînes de TLSP peuvent faire appel conjointement à REC et à Syn TV (c’est le cas par exemple de Canal 8 au Mans, TV Rennes 35 ou C9 Télévision) pour la syndication de programmes, deux offres différentes mais complémentaires. Bien maîtrisé, bien cadré, un développement de la syndication de programmes peut répondre à la recherche légitime d’une rentabilité économique alliée à une certaine conception de la télévision de proximité. C’est en tout cas, une ambition à défendre à l’heure où l’extension du numérique terrestre rend encore plus vitale la lutte des télévisions locales pour conserver et préserver leurs territoires et leurs identités !

 

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